Vingt-deuxième épisode : Commentaires ministériels.



       Le drapeau fut suivi, sur toutes les chaînes, des mêmes images. Dans un studio sans logo, installé derrière un pupitre blanc, Bertrand Delanoë faisait face à David Pujadas, Arlette Chabot et Laurence Ferrari. Une interview en bonne et due forme, à laquelle le Premier ministre se soumit avec son habituel mélange d’application et de bonhomie. Non, il n’avait pas longtemps hésité avant d’accepter de diriger le gouvernement mis en place par le comité de Sauvegarde : l’urgence était de tirer le pays de ses difficultés. Oui, il approuvait l’ensemble des mesures qui venaient d’être annoncées, y compris l’abandon de l’euro et les mesures protectionnistes. Oui, il avait conscience que la France rompait ainsi différents accords internationaux, mais la France était souveraine et libre de disposer de son avenir comme elle l’entendait. Oui, il savait que la note « AAA » de la France allait être fortement dégradée mais cela n’avait guère d’importance à court terme puisqu’il n’était plus question d’emprunter sur les marchés internationaux. Oui, il savait que le franc risquait de se dévaluer et d’accroître ainsi le prix du pétrole, mais l’Etat prenait l’engagement de baisser alors les taxes pétrolières afin que les prix à la pompe demeurent les mêmes. Sur l’emploi des cent vingt milliards d’euros dégagés par le moratoire, Bertrand Delanoë précisa qu’ils seraient consacrés en priorité à la rénovation des établissements scolaires, à la formation des enseignants, à la construction de centres d’apprentissage, au recrutement de nouveaux magistrats et à la création de prisons. Il évoqua aussi l’ouverture de centres destinés aux jeunes délinquants, qui seraient désormais séparés des récidivistes et formés pour aller travailler le temps de leur peine, sous encadrement militaire, sur des chantiers à vocation sociale ou dans des pays en voie de développement.
-      Et, fit Laurence Ferrari, d’autres mesures sont à l’étude ?
-      Oh, oui. Nous allons nous attaquer à la question des retraites et des charges patronales. Par ailleurs, nous étudions la suppression du cumul des mandats, ou en tout cas sa limitation. Et nous envisageons de rayer le 8 mai et le jour de l’Ascension de la liste des jours fériés, pour les remplacer par Roch-Hachana et par l’Aïd-al-Adha qui deviendraient deux journées officiellement chômées. Mais pour cela, nous devons consulter les représentants des différents cultes concernés.
-      Pourquoi cela ? fit Laurence Ferrari.
-      Eh bien, au nom de la laïcité, nous ne trouvons pas normal que seules les fêtes chrétiennes soient chômées dans notre pays. C’est l’héritage d’une tradition tout à fait respectable, mais nos compatriotes juifs ou musulmans doivent pouvoir eux aussi profiter pleinement de leur principale fête religieuse. Et comme nous ne voulons pas multiplier les jours fériés, il faut bien en enlever certains pour en rajouter d’autres… Ah et puis, pendant que j’y suis, notez aussi que nous allons construire trois mille mosquées dans les différentes villes de France. Des mosquées discrètes, sans minaret ni haut-parleurs extérieurs.
-      Mais, fit Arlette Chabot, c’est contraire au principe de laïcité !
-      Non. L’Etat va avancer l’argent, mais il sera remboursé. D’un côté, nous allons augmenter d’un point et demi la TVA sur les produits hallal pour financer les travaux. De l’autre, pendant un certain temps, l’entrée de ces mosquées sera payante pour tous les fidèles. Entre vingt et quarante centimes l’entrée ; ce n’est pas encore décidé.
-      Vous voulez faire payer l’entrée dans des lieux de culte ?
-      Et pourquoi pas ? Les chrétiens font bien une quête pendant leurs offices…

       Le lendemain de l’allocution, la presse internationale se déchaîna. En Allemagne, le Welt dénonçait un véritable coup de poignard français. En Italie, la Stampa et le Corriere déploraient en termes vifs que la France se retire ainsi de l’opération de sauvetage des économies européennes. En Espagne, El Pais s’effarait de l’audace française et se demandait si le voisin d’outre-Pyrénées survivrait longtemps à son « splendide isolement militaro-économique ». A Londres, le Times rendit compte du discours en termes distanciés, tandis que le Sun félicitait les « froggies » d’avoir enfin compris, au bout de treize ans seulement, ce que les citoyens britanniques avaient senti dès 1999. Dans Le Monde, Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC, oublia définitivement ses convictions socialistes pour fustiger « cet intolérable manquement aux règles les plus élémentaires de la concurrence internationale ». Herman von Rompuy, le transparent président de l’UE, révéla que la décision française « lui faisait beaucoup de peine ». Seul Newsweek joua les iconoclastes en publiant sur sa couverture un fier coq gaulois accompagné d’une légende provocante : « Et si les Français avaient raison ? ».

(A suivre)