Quatorzième épisode : Brasiers.


                Le mercredi matin, alors que les arrestations se comptaient par dizaines, les forces de l’ordre durent admettre que plusieurs cités et quartiers d’Ile-de-France, isolés par de véritables remparts, échappaient réellement au contrôle de l’Etat. Suite à un sabotage des lignes électriques, le trafic des RER vers certaines gares était interrompu. Cette fois, on n’était plus dans un film de John Woo mais plutôt chez John Carpenter, quelque part entre Assaut et New York 1997.
                Le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, apparut au 13 heures de TF1 pour dénoncer une « situation insurectionnelle » et réclamer le recours aux forces armées. Sur France 2, Marine Le Pen lui fit écho en fustigeant « l’instauration de zones de non-droit et la déclaration d’une véritable guerre civile par des bandes organisées prêtes à tout pour faire valoir leur loi ». L’UMP, qui n’osait plus parler d’insécurité depuis sa défaite électorale, restait silencieuse. Revenu en hâte de ses vacances à Bizerte, Bertrand Delanoë tint une réunion de crise avec Henri Emmanuelli, ministre de l’Intérieur, et les principaux responsables de la police nationale.
-      Mais, s’énerva le Premier ministre, ce que vous me décrivez, ce sont de véritables camps retranchés ! C’est inadmissible ! Nous n’allons quand même pas laisser quelques centaines de gamins dicter leur loi à la république !
Autour de la table, il y eut des regards gênés, des toussotements. Puis le directeur général de la police nationale prit la parole.
-      Monsieur le Premier ministre, la situation est très difficile…
-      Allons donc ! Vous n’allez pas me dire que les CRS ne sont pas capables de remettre ces gamins au pas !
Le directeur des CRS intervint à son tour.
-      Monsieur le Premier ministre, ce n’est pas si facile. Pardonnez-moi, mais vous n’avez aucune idée de ce qu’est un combat de rue, surtout si l’adversaire peut tirer à balles réelles. Ces gamins, comme vous dites, sont armés et résolus. Et ils ont une supériorité énorme sur mes hommes : ils connaissent le terrain comme leur poche. Ils sont chez eux, vous comprenez. C’est leur territoire...

     Le jeudi soir, débordant l’Ile-de-France, l’insurrection avait gagné Marseille, l’agglomération lilloise, Besançon, Rennes et Toulouse. De véritables enclaves s’étaient créées, marquées par le vandalisme, le pillage et la haine de tout ce qui symbolisait l’autorité ou l’Etat. De leurs lieux de vacances, les Français suivaient avec ahurissement la chronique au jour le jour d’une insurrection frénétique, sans but et sans revendications. Le vendredi midi, Bertrand Delanoë prononça un discours transmis sur l’ensemble des chaînes de télévision et retranscrit intégralement sur une page Facebook créée pour la circonstance. D’un ton résolu, il dénonça « les agissements destructeurs d’une minorité de Français égarés ou désespérés » avant d’affirmer que « les troubles et les violences ne seraient pas tolérés  », que « la priorité était au rétablissement de l’ordre public dans le respect de la tradition républicaine » mais que pour autant « ces mouvements traduisaient un désarroi et une peur de l’avenir qui méritaient d’être entendus et pris en compte afin d’assurer à chacun sa juste place dans la collectivité nationale ». L’ensemble de la classe politique salua un propos à la fois ferme et compréhensif. François Bayrou, par un communiqué de presse, fit connaître qu’il avait écouté le discours du Premier ministre « avec approbation ». Le soir même, de nouvelles batailles rangées éclataient dans les Hauts-de-Seine, les Yvelines, l’Essonne, le Doubs et le Pas-de-Calais.

(A suivre)

Treizième épisode : Insurrection.



                Tout commença par un vacarme. Le samedi 4 août, en début de soirée, un résidant de la cité des Erables, à Neuilly-sur-Marne, appella le commissariat pour se plaindre du bruit occasionné par un groupe de jeunes. Cela, expliqua-t-il, durait depuis le milieu de l’après-midi : quelques hommes se livraient à un rodéo de motos et de quads dans la rue qui bordait l’immeuble, faisant pétarader les pots d’échappement, poussant les engins à des vitesses excessives et mettant en danger les passants. Une ou deux tentatives de conciliation s’étaient achevées par des quolibets ou des menaces. L’homme demandait une intervention rapide car, ajoutait-il, l’agacement montait parmi les habitants et on s’acheminait vers une bagarre. Pour les policiers, un appel de routine. Une voiture fut envoyée, avec instruction de calmer le jeu mais « sans en rajouter ». Il faisait chaud, les gamins étaient désœuvrés et depuis quelques jours le ton montait facilement.
                Que se passa-t-il ? Beaucoup plus tard, certains parlèrent de brutalités, de contrôle musclé, de ton méprisant… D’autres affirmèrent que les policiers avaient fait montre d’une grande patience devant les provocations de deux ou trois excités. Toujours est-il que le contrôle s’acheva par un échange de coups et une interpellation. Un jeune homme menotté fut ramené au commissariat. Une heure plus tard, un groupe d’une cinquantaine de personnes, certains casqués et armés de barres de fer ou de battes de base-ball, se massait devant la porte, hurlant et menaçant, réclamant la libération de leur copain. Deux heures plus tard, à la nuit tombante, le groupe était devenu foule, les grilles de protection avaient été baissées, le caillassage battait son plein et trois voitures flambaient aux abords du commissariat. Dans le clair-obscur, à la lueur rougeoyante des incendies, l’agitation des silhouettes en sweat-shirts et cagoules composait un spectacle angoissant et superbe que le caméraman de FR3 sut filmer avec beaucoup de talent. L’une des voitures qui brûlaient, soudain, laissa échapper le hurlement crispant de son klaxon. Cet arrière-plan sonore, tandis que les émeutiers jetaient briques et boulons sur les voitures de police arrivées en renfort, ajoutait à la scène une dimension dramatique particulièrement bien venue. On aurait cru la violence chorégraphiée d’un film de John Woo.
                Vers minuit, l’émeute s’était répandue dans toute la ville. Des voitures brûlaient dans la plupart des rues avoisinant la cité, des vitrines étaient brisées, des magasins pillés ou incendiés. De petites bandes armées et casquées avaient déferlé dans le centre, ravageant cafés et commerces. Les habitants s’étaient calfeutrés chez eux, la police était dépassée, les rues appartenaient aux pillards. Cela dura jusqu’aux premières heures de la matinée.
                Radios et JT du lendemain ouvrirent évidemment sur les événements de la nuit. Une équipe filma les rues saccagées et les CRS qui prenaient position en divers endroits de la ville, mais surtout les images spectrales de la veille furent diffusées sur toutes les chaînes. Se souvenant de l’automne 2005, le préfet avait diffusé l’ordre à l’ensemble des commissariats du département de se tenir prêt à toute éventualité. De leur côté, les émeutiers ou ceux qui rêvaient de les imiter s’activaient également, se donnant rendez-vous et mots d’ordre par voie de portable ou de réseaux sociaux. La nuit du dimanche fut d’un calme trompeur. Le lundi soir, ce fut l’explosion. Dans la nuit tombante, avec un synchronisme presque parfait, les émeutes éclatèrent à Clichy-sous-Bois, à Aulnay, à Bondy, à Sevran, à Bobigny, au Blanc-Mesnil, à Montreuil, à Garges-lès-Gonesse, à Nanterre, à Mantes-la-Jolie, au Ulis, à Evry… Partout, le mode opératoire était le même : des petites bandes très mobiles investissaient un quartier, y enflammaient des véhicules, y brisaient des devantures, des vitrines et du mobilier urbain, mettaient le feu à des magasins à coup de cocktails Molotov puis filaient vers un autre quartier. Une équipe de TF1 fut prise à partie, frappée et la caméra fracassée à coups de barre de fer. Le centre commercial d’Athis-Mons fut envahi par une cinquantaine de vandales, ravagé et brûlé. Les camions de pompiers se heurtaient à des barrages de rue composés de conteneurs en flammes, de débris d’abribus, d’arbres en pot ou de voitures renversées en travers de la voie. Les bus et les véhicules de police étaient caillassés. Les témoignages policiers soulignèrent la brutalité et la détermination des émeutiers. Plusieurs parlèrent de tirs à balles réelles, en particulier dans les batailles rangées qui se produisirent à Sevran, aux Mureaux, à Clichy et à Bobigny autour de ce qu’il fallut bien appeler des barricades. Leur incrédulité, leur peur étaient palpables.

(A suivre)

Douzième épisode : Jacques Chirac achète des légumes.



                Le 26 juillet, lendemain de la Saint-Jacques, Paris-Match consacra sa couverture à « Jacques Chirac, un retraité comme les autres ». Souriant et bronzé, en polo Lacoste, bermuda et sandales, l’ancien président y était photographié panier à la main en train d’acheter des légumes sur un marché provençal. Dans une interview de quatre pages, il confirmait sa bonne forme, évoquait se vie de famille et portait quelques appréciations sur l’état du pays. Etat, selon lui, plus qu’alarmant. La France, affirmait-il, « allait très mal ». Jacques Chirac concluait ses propos en appelant les Français à l’unité et à un effort de redressement national pour lequel il fallait mobiliser « toutes les ressources et toutes les armes dont la France pourrait disposer en tant qu’état souverain ». A l’UMP, on ne fut pas long à décrypter le message. « Le Grand a complètement perdu les pédales, commenta Jean-François Copé à son premier cercle. Voilà qu’il appelle à sortir de l’euro, maintenant ! Si on ne le retient pas, il va finir chez les Le Pen ».
                Chez les Le Pen, en attendant, on se tenait tranquille. La victoire écrasante des Législatives, il faut bien le dire, avait un peu pris de court un parti qui tenait davantage de la grosse PME réactive que de l’administration bien rodée. Il avait fallu recruter en catastrophe des attachés parlementaires, répartir les rôles en gérant les inimitiés personnelles et les querelles d’ego, équilibrer les divers courants sans provoquer de remous meurtriers, trouver des lots de consolation à ceux qui avaient frôlé la victoire sans parvenir à la saisir… Dans son bureau de Nanterre, Marine Le Pen passait des heures à recevoir les mécontents, à faire des promesses, à calmer des rancœurs et à tenter de canaliser un père qui s’obstinait encore à vouloir tout régenter. Bref, elle était largement trop prise pour se payer encore le luxe de lancer le commentaire ou la phrase qui auraient fait parler d’elle.
                Jusqu’à ce que se produisent les émeutes.

(A suivre)

Onzième épisode : Un banquier se lâche.


      Saluant l’échec de la réunion, les taux d’intérêt consentis à la plupart des pays de la zone euro montèrent d’un demi-point. Sur ordre de l’Elysée le ministre des Finances, Marylise Lebranchu, fit venir à Bercy les présidents des plus grandes banques et compagnies d’assurances françaises. La rencontre fut houleuse. Elle aurait dû rester discrète, mais le fait est que plusieurs journalistes attendaient à la sortie quand banquiers et grands patrons quittèrent les lieux. L’un d’eux, plus remonté ou plus imprudent que les autres, se laissa aller à une déclaration en direct. « Il est absolument hors de question, fulmina-t-il, que des banques et des entreprises privées se voient contraintes de payer pour financer les erreurs de gestion des divers gouvernements ». La déclaration, on l’imagine, fut particulièrement appréciée. Les médias manquaient de sujets en cette période estivale ; ils surent monter l’affaire en épingle. Tout y passa : les milliards d’euro de bénéfice annuel, les bonus à six chiffres des traders, les salaires pharamineux des PDG du CAC 40, le sauvetage des banques grâce aux deniers publics en 2008, l’affaire Kerviel et même le rappel de l’affaire du Crédit Lyonnais en 1993 et des vingt milliards d’euros acquittés à l’époque par les contribuables, sans oublier le détail des mille et une astuces – jours de valeur, commissions de découvert et autres – grâce auxquelles les banques s’enrichissent sur le dos de leurs petits clients. La pression sur les dirigeants de bancassurance se fit terrible ; ils comprirent qu’ils ne pourraient pas éviter de mettre la main à la poche et prirent dès lors les mesures nécessaires pour répercuter sur leur clientèle le coût de la prévisible ponction. Ainsi, sous la double influence des marchés internationaux et du gouvernement, les taux d’intérêt français augmentèrent brusquement de deux points.
      Le 15 juillet, les chiffres de l’économie américaine avaient été publiés. Ils s’étaient révélés moins bons qu’attendus. Le 20 juillet, les agences Moody’s et Fitch dégradèrent à leur tour la note des Etats-Unis. La Chine et l’Inde firent aussitôt savoir qu’elles se délestaient d’une partie de la dette américaine. Le surlendemain, David Cameron annonça que son pays créait un fonds spécial destiné à racheter des bons du Trésor américain et à « manifester ainsi sa totale confiance dans la capacité de redressement de la première puissance industrielle mondiale ». Le vieux réflexe atlantiste avait joué. Angela Merkel téléphona à Martine Aubry pour lui signifier qu’elle ne croyait plus pouvoir redresser avec la seule France une situation qui s’aggravait chaque jour. L’unité européenne se lézardait. La réaction des marchés fut presque immédiate ; les taux d’intérêt grimpèrent encore et, en France, le crédit à la consommation comme celui au logement augmentèrent à nouveau de près de deux points.
      En vieille copine, Marylise Lebranchu ne prit pas de gants pour expliquer la situation à la Présidente :
-      Nos banquiers sont complètement irresponsables ! éclata-t-elle. Pour plus de la moitié des ménages français, l’essentiel du patrimoine est constitué par la résidence principale et parfois par un appartement qu’ils ont acheté pour le louer et se faire un complément de retraite. Si les banques augmentent encore les taux d’intérêt, elles vont nous flinguer le marché immobilier et provoquer un effondrement des prix. Ce sera la panique chez les petits épargnants. Il faut absolument éviter ça !
-      Et qu’est-ce que je peux faire ?
-      Il faut mettre les banquiers au pas d’une façon ou d’une autre. Et il faut rassurer les Français sur leurs revenus dans l’avenir, éviter la panique. Il faut leur montrer que tu tiens la barre.
Le surlendemain, un communiqué de presse de Matignon informait les Français que, dès la rentrée, le Premier ministre convoquerait l’ensemble des partenaires sociaux pour « un Grenelle des retraites et de la sécurité sociale ». L’annonce, tombant de manière inattendue en plein milieu de l’été, fut reçue avec inquiétude.

(A suivre)

Dixième épisode : A l'étranger...



                Les péripéties de la politique intérieure avaient un peu fait oublier le reste du monde, mais le reste du monde n’en continuait pas moins d’exister. Et, pour sa plus grande partie, plutôt mal que bien. Le 4 juillet on apprit que Moody’s abaissait de deux crans la note du Japon, le 5 qu’une zone de soixante-dix kilomètres autour de Fukushima avait été évacuée dans l’urgence et le 6 que le Premier ministre japonais avait fait seppuku après avoir remis sa démission à l’empereur. En Espagne, les fonctionnaires avaient été avertis qu’ils ne toucheraient à la fin du mois que la moitié de leur traitement, le temps pour le gouvernement de finaliser quelques économies. L’Italie devait faire face à un afflux massif de réfugiés libyens et on signalait déjà plusieurs cas meurtriers d’affontements avec les populations locales. En Belgique, la crise gouvernementale durait, la dette s’aggravait et la partition entre Wallons et Flamands semblait désormais inévitable. Le 11 juillet, on apprit qu’un fonds d’investissement chinois était désormais l’actionnaire majoritaire de la chaîne de magasins américaine Wal-Mart et détenait 32% du capital de Walt Disney. Le gouvernement chinois en profitait pour « appeler avec la plus grande fermeté » les Etats-Unis à davantage de rigueur budgétaire. Les relations internationales se tendaient. François Bayrou, retiré à Luchon depuis qu’il avait perdu au premier tour son mandat de député, publia un communiqué de presse pour faire état de « sa préoccupation ».
      Le 14 juillet, Eva Joly dut assister bon gré mal gré à un défilé militaire aussi parfaitement organisé et réglé que de coutume. Dans l’entretien télévisé qu’elle accorda à la suite de la cérémonie, Martine Aubry parut tendue et fatiguée. Elle annonça qu’elle partait l’après-midi même pour Bruxelles où se tiendrait une réunion exceptionnelle des chefs d’Etat européens.
En regagnant l’Elysée après le défilé militaire, Martine Aubry eut un bref échange avec Jean-Marc Germain, le secrétaire général de la Présidence :
-      Comment s’appelle-t-il, déjà, le général commandant la place de Paris ?
-      Général André Coëtlogon, madame la Présidente.
-      Il va falloir s’occuper de son cas.
Germain travaillait au quotidien avec Martine Aubry depuis plus de quinze ans ; il comprit illico ce que cela voulait dire.
-      Certainement, madame la Présidente. Je vais y veiller. Puis-je vous demander pourquoi ?
-      Il s’obstine à m’appeler « Madame le Président ». Ça m’agace.

      Dans les faits, la fameuse réunion à Bruxelles n’eut pas grandes conséquences. Pour Martine Aubry, ce fut l’occasion de participer pour la première fois à une réunion internationale en tant que chef d’Etat mais, pour le reste, aucune décision notable ne fut prise. Il fallait reconduire le plan de soutien à la Grèce, achever le soutien à l’Irlande et au Portugal, et continuer de soutenir l’Italie et l’Espagne. La BCE y avait déjà consumé ses réserves. Après huit heures d’échanges au cours desquelles les divers conseillers avaient rivalisé de virtuosité technocratique, on finit par comprendre que les considérations juridiques, les termes abstrus et les calculs de mathématiques financières se résumaient au bout du compte à une formule simple : « On ne peut pas tondre un œuf ». Autrement dit, il fallait trouver de l’argent ailleurs. Deux pistes furent évoquées : une taxation des transactions financières et une contribution de l’ensemble des banques et des compagnies d’assurances de la zone euro au Fonds Européen de Stabilité Financière. Evoquées seulement, car sitôt qu’ils entendirent parler du second point et sans s’être concertés, Angela Merkel et David Cameron réclamèrent un ajournement de séance. Sur le chemin du retour, en contemplant d’un œil morne le plancher de nuage par le hublot de l’A-330 présidentiel, Martine Aubry se dit avec nostalgie que, décidément, ce n’était pas de la tarte.

(A suivre)

Neuvième épisode : Une raclée.


      Les semaines suivantes, politiquement, furent axées sur la préparation des élections législatives. Un nombre conséquent de députés UMP s’étaient d’ores et déjà désolidarisés du parti et labouraient leur circonscription en long et en large avec l’intention de s’y représenter sans étiquette. D’autres tout aussi nombreux, qui avaient discrètement tenté d’approcher le FN, n’y reçurent que des sarcasmes tandis que le Nouvel Obs, informé de la chose sur instruction de Marine Le Pen, se faisait un plaisir de révéler leurs noms dans sa rubrique « Téléphones Rouges ». Rue de Solférino, on acheva de mettre au point les détails des accords avec le PRG et Europe Ecologie, et on prit langue avec le Front de Gauche pour tenter d’éviter les luttes inutiles. Le deal avec l’allié Vert était de lui laisser trente-cinq circonscriptions « gagnables » ; mais chez Europe Ecologie on comprit vite que les critères du PS pour évaluer si une circonscription était ou non gagnable baignaient dans un certain flou. Les socialistes s’obstinaient ainsi à proposer à leurs alliés la troisième circonscription des Côtes-d’Armor ou la troisième circonscription du Cher, en faisant valoir leur caractère rural et en semblant oublier que l’écologie défendue par les Verts ne trouvait nulle part autant de partisans qu’en plein cœur des villes, en général dans des quartiers « tendance ».  Avec le Front de Gauche, en revanche, les accords furent vite trouvés : socialistes et communistes se connaissaient depuis assez longtemps pour ne pas avoir besoin de se raconter d’histoires.
      Chez Jean-François Copé, on cultivait un optimisme de façade qui cachait mal l’angoisse de la trop prévisible raclée. Certains évoquaient le souvenir des élections de 1993 et de la « vague bleue » qui avait fait perdre à la gauche deux cent vingt de ses trois cents sièges. Une débâcle historique. Serait-il possible que l’UMP connaisse à son tour une pareille dérouillée ? Pris en tenaille entre un FN en pleine croissance et une gauche unie, lâché par son leader historique, lézardé par des rivalités internes, l’ex-parti présidentiel faisait bien triste figure.
      Les résultats furent à la hauteur des inquiétudes. Le 10 juin, au soir du premier tour, l’UMP avait perdu ou était menacée de perdre plus de deux cent trente sièges. Un certain nombre de circonscriptions emblématiques étaient conservées : celles englobant Neuilly-sur-Seine, Levallois-Perret, Boulogne-Billancourt, Deauville, Megève ou Chantilly, par exemple, se donnèrent à la droite dès le premier tour. Mais à Meaux, Jean-François Copé frôla de peu le ballottage en obtenant 50,38% des voix, tandis que Xavier Bertrand était contraint à un second tour dans son fief de Saint-Quentin face à un candidat frontiste et que François Fillon, dans la Sarthe, se retrouvait en situation difficile face au PS. A l’inverse, Marine Le Pen, Steeve Briois et plusieurs autres figures frontistes étaient élues dès le premier tour. Et dans la plupart des circonscriptions, les candidats UMP devaient affronter qui un socialiste, qui un FN, qui un communiste, sans aucune garantie de succès. Bref, il y avait le feu.
      Au soir du second tour, le désastre de la droite traditionnelle était consommé. Le PS obtenait 375 députés, Europe Ecologie 19, le Front de Gauche 31, le PRG conservait ses 7 sièges et CAP21, le petit parti de Corinne Lepage, en obtenait 2 consentis par le PS. Au total, la gauche et ses alliés avaient conquis quatre cent trente-quatre sièges sur les cinq cent soixante dix-sept. Une majorité plus qu’écrasante. Pire encore pour l’UMP : le Front National avait décroché 59 sièges, le parti de Jean-François Copé n’en conservant que 84. La Bérézina. Les dirigeants de l’UMP durent subir, la mort dans l’âme, l’humiliation de commenter leurs résultats sur les divers plateaux de télévision. Sur la 2, confronté à un Bruno Gollnisch rayonnant et à un Cambadélis rigolard, le pauvre Copé affichait la mine d’un basset artésien qui se serait pris la queue dans une porte. Les spectateurs en avaient mal pour lui et David Pujadas lui parlait avec la douceur attentive que l’on réserve d’ordinaire à un malade grave. Seule et maigre consolation : ceux qui avaient quitté le navire UMP pour se présenter sans étiquette avaient tous, sans exception, été balayés.
      Quoi qu’il en soit, le véritable événement de ces deux élections restait l’irruption du Front National. Qu’on le veuille ou non, le parti extrémiste avait su trouver le chemin des urnes et pesait désormais lourdement dans la vie politique française. Les responsables des autres partis durent se plier à une gymnastique nouvelle : apprendre à parler du FN de façon formellement respectueuse, et reconnaître son succès sans en évoquer les raisons. Un non-dit implicite et consensuel s’instaura ainsi tant sur le sujet de l’islamisme radical que sur celui des banlieues « difficiles ». A l’UMP, au PS et chez leurs alliés, on appliquait à ces thèmes la vieille formule de Gambetta : « Y penser toujours, n’en parler jamais ».
      Dans les jours qui suivirent, Laurent Fabius fut élu sans difficulté président de l’Assemblée nationale. Puis les Français partirent en vacances. Du moins, ceux qui le pouvaient.

(A suivre)

Huitième épisode : Politique générale.


      La passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et Martine Aubry se fit dans une ambiance légèrement crispée. L’ancien président préféra ensuite sortir à pied par la grille du Coq, crainte de subir les sifflets et les huées des gens massés devant la porte principale. Le lendemain, les JT révélèrent que le couple Sarkozy quittait la France pour aller s’établir au Brésil où Nicolas avait ouvert un cabinet de conseil, en association avec Jean-Marie Messier. Le « prince Jean » démissionnait de tous ses mandats électifs pour travailler avec son père ; Carla mettait sa carrière entre parenthèses pour se consacrer au petit Hubert-Luigi. Nicolas Sarkozy expliqua dans une interview à Paris-Match qu’il n’y avait plus rien à attendre de l’Europe et que l’avenir était désormais dans les pays émergents. Le soir de cette annonce, Jean-François Copé, Xavier Bertrand et François Fillon, chacun de son côté et ignorant ce que faisaient les autres, réunirent leurs proches à leurs domiciles et firent couler le champagne à pleins flots.
      Le discours de politique générale de Bertrand Delanoë fut à l’image de l’orateur lui-même : généreux, bien charpenté, un peu scolaire et manquant légèrement de souffle. Il y était question de lutter contre le chômage, de corriger les inégalités sociales, de recentrer l’Education nationale sur ses missions citoyennes, de mettre la législation en accord avec l’état de nos mœurs et de faire renaître la solidarité entre tous les Français. Concrètement, le Premier ministre annonçait une remise à plat totale de la fiscalité, la création de trois cent mille emplois-jeunes dont la moitié seraient financés par les collectivités locales, le recrutement dès la rentrée prochaine de cinq mille enseignants du primaire comme du secondaire, la mise en chantier sur trois ans de cent vingt mille logements sociaux, l’augmentation de 12% du SMIC comme du RSA, la consolidation de la centrale de Fessenheim, le doublement en trois ans du budget de la culture, la légalisation du mariage homosexuel et la dépénalisation du cannabis. On trouva que c’était beaucoup et, paradoxalement, on fut déçu. L’UMP dénonça l’irresponsabilité d’un projet qui « multipliait les dépenses sans envisager la moindre économie », Marine Le Pen souligna que « pas un instant il n’avait été question de s’attaquer au vrai problème de la France, celui d’une immigration excessive, handicapante et incontrôlée », Jean-Christophe Cambadélis, nouveau Premier secrétaire du PS, salua « la clairvoyance et le courage d’un projet qui attaquait de front les maux dont souffre notre pays » et Cécile Duflot confirma sa confiance dans « le projet élaboré en commun avec nos alliés de toute la gauche pour faire entrer la France dans une ère de développement solidaire et responsable ». François Bayrou, par un communiqué de presse, signala qu’il était « attentif ».

(A suivre)