Quatorzième épisode : Brasiers.


                Le mercredi matin, alors que les arrestations se comptaient par dizaines, les forces de l’ordre durent admettre que plusieurs cités et quartiers d’Ile-de-France, isolés par de véritables remparts, échappaient réellement au contrôle de l’Etat. Suite à un sabotage des lignes électriques, le trafic des RER vers certaines gares était interrompu. Cette fois, on n’était plus dans un film de John Woo mais plutôt chez John Carpenter, quelque part entre Assaut et New York 1997.
                Le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, apparut au 13 heures de TF1 pour dénoncer une « situation insurectionnelle » et réclamer le recours aux forces armées. Sur France 2, Marine Le Pen lui fit écho en fustigeant « l’instauration de zones de non-droit et la déclaration d’une véritable guerre civile par des bandes organisées prêtes à tout pour faire valoir leur loi ». L’UMP, qui n’osait plus parler d’insécurité depuis sa défaite électorale, restait silencieuse. Revenu en hâte de ses vacances à Bizerte, Bertrand Delanoë tint une réunion de crise avec Henri Emmanuelli, ministre de l’Intérieur, et les principaux responsables de la police nationale.
-      Mais, s’énerva le Premier ministre, ce que vous me décrivez, ce sont de véritables camps retranchés ! C’est inadmissible ! Nous n’allons quand même pas laisser quelques centaines de gamins dicter leur loi à la république !
Autour de la table, il y eut des regards gênés, des toussotements. Puis le directeur général de la police nationale prit la parole.
-      Monsieur le Premier ministre, la situation est très difficile…
-      Allons donc ! Vous n’allez pas me dire que les CRS ne sont pas capables de remettre ces gamins au pas !
Le directeur des CRS intervint à son tour.
-      Monsieur le Premier ministre, ce n’est pas si facile. Pardonnez-moi, mais vous n’avez aucune idée de ce qu’est un combat de rue, surtout si l’adversaire peut tirer à balles réelles. Ces gamins, comme vous dites, sont armés et résolus. Et ils ont une supériorité énorme sur mes hommes : ils connaissent le terrain comme leur poche. Ils sont chez eux, vous comprenez. C’est leur territoire...

     Le jeudi soir, débordant l’Ile-de-France, l’insurrection avait gagné Marseille, l’agglomération lilloise, Besançon, Rennes et Toulouse. De véritables enclaves s’étaient créées, marquées par le vandalisme, le pillage et la haine de tout ce qui symbolisait l’autorité ou l’Etat. De leurs lieux de vacances, les Français suivaient avec ahurissement la chronique au jour le jour d’une insurrection frénétique, sans but et sans revendications. Le vendredi midi, Bertrand Delanoë prononça un discours transmis sur l’ensemble des chaînes de télévision et retranscrit intégralement sur une page Facebook créée pour la circonstance. D’un ton résolu, il dénonça « les agissements destructeurs d’une minorité de Français égarés ou désespérés » avant d’affirmer que « les troubles et les violences ne seraient pas tolérés  », que « la priorité était au rétablissement de l’ordre public dans le respect de la tradition républicaine » mais que pour autant « ces mouvements traduisaient un désarroi et une peur de l’avenir qui méritaient d’être entendus et pris en compte afin d’assurer à chacun sa juste place dans la collectivité nationale ». L’ensemble de la classe politique salua un propos à la fois ferme et compréhensif. François Bayrou, par un communiqué de presse, fit connaître qu’il avait écouté le discours du Premier ministre « avec approbation ». Le soir même, de nouvelles batailles rangées éclataient dans les Hauts-de-Seine, les Yvelines, l’Essonne, le Doubs et le Pas-de-Calais.

(A suivre)