Dernier épisode : Un référendum.



      Dans ce contexte, le référendum ne fut pour ainsi dire qu’une formalité. Début février, le général de Boisguibert avait annoncé dans une brève allocution que les Français seraient sollicités le samedi 23, soit quinze jours plus tard, pour donner leur avis sur la façon dont les généraux avaient géré la situation. La question posée serait : « Souhaitez-vous que le comité de Sauvegarde nationale poursuive l’action qu’il a entreprise ? ». Dans son intervention, le général ne donna aucune indication sur ce qui arriverait en cas de réponse négative, se contentant de souligner que le comité avait à cœur d’agir pour le bien du pays, et de vérifier que son action était comprise et approuvée par le peuple souverain.
      Le scrutin ne donna pas lieu à une campagne particulière. Claude Imbert, dans Le Point, évoqua la citation évangélique selon laquelle « un mauvais arbre ne saurait donner de bons fruits » pour en conclure que si les fruits sont bons, l’arbre doit l’être aussi. Alexandre Adler fit savoir qu’il avait choisi de ne pas s’exiler. André Comte-Sponville, invité à C dans l’air, convoqua Platon, Machiavel, Kant, Max Weber et Raymond Aron pour souligner qu’en politique la morale doit s’apprécier à l’aune des résultats pratiques. Laurent Joffrin, dans Le Nouvel Obs, expliqua sur trois colonnes qu’il ne donnerait pas de consignes de vote à ses lecteurs. Jean Daniel, dans le même magazine, appelait à l’abstention en expliquant qu’il n’y avait pas lieu de répondre à une question portant sur sa légitimité posée par un gouvernement évidemment illégitime. Jean-François Kahn, dans Marianne, rappela que Bonaparte en 1802, Louis-Napoléon Bonaparte en 1851 et De Gaulle en 1958 avaient tous trois, une fois le fait accompli, recherché une onction plébiscitaire pour légitimer leur coup de force et qu’ils l’avaient obtenue. Seule Martine Aubry, qui jouissait dans sa résidence forcée de Brégançon d’une certaine liberté de parole, publia dans Le Monde une tribune appelant à l’opposition au comité et au rétablissement de l’Etat de droit. Mais à l’exception de cette écume médiatique, le sujet ne fut guère débattu. Il semblait que les citoyens gardaient sur leur vote et leur opinion une sorte de discrétion pudique ou, peut-être, gênée.
      Le 23 février, près de trente-sept millions de Français s’étaient rendus aux urnes. A 20h, les résultats proclamés furent sans appel : le « Oui » l’emportait par 64,31% des voix contre 13,56% de « Non » et 22,13% d’abstentions. Averti de sa victoire une demi-heure plus tôt, le général de Boisguibert avait eu un petit sourire. Il savait bien que, dans le fond, la France avait toujours aimé les militaires.



FIN

Vingt-quatrième épisode : Retour au franc.


                 En somme, à trois semaines de la date fatidique qui marquerait le retour au franc, les membres du comité de Sauvegarde comme ceux du gouvernement avaient le sentiment que les choses se présentaient au mieux. Il faut d’ailleurs souligner – même si les membres du PS comme de l’UMP se seraient fait éplucher sur place plutôt que de l’avouer – que cette mesure d’abandon de l’euro avait figuré sur toutes, absolument toutes les listes de mesures que les divers partis avaient soumis au comité le surlendemain du coup d’état. Les travaux préparatoires avaient donc été menés avec une réelle bonne volonté et une totale implication. La banque de France, bientôt rétablie dans ses prérogatives, avait fait tourner ses presses pour imprimer en quantités suffisantes les billets de cinq à cinq cents francs qui, dès le 1er janvier, viendraient se substituer à la monnaie européenne. Dans les bureaux de poste et les agences bancaires, on se préparait avec un peu de fébrilité au prévisible afflux des clients désireux de procéder à l’échange. La parité officielle serait, quoi qu’il advienne, de un pour un pendant tout le mois de janvier et il était prévu que, durant cette période, la double circulation serait tolérée.
      Lors du conseil des ministres du 5 décembre, le général de Boisguibert conclut la réunion en exprimant sa satisfaction pour le travail réalisé et sa confiance quant aux résultats à venir. Puis il demanda au Premier ministre de prévoir, pour le mois de février 2013, l’organisation d’un référendum.
      En fait, le 1er janvier 2013, les choses se passèrent très calmement. Les Français avaient réveillonné la veille au soir, ils firent pour beaucoup la grasse matinée et les employés de La Poste ou des banques, installés derrière leurs guichets dès dix heures du matin, ne virent arriver qu’un nombre raisonnable de clients. La vraie surprise arriva le lendemain, lorsque les premières cotations s’établirent entre le franc et l’euro : un euro s’échangeait à 0,973 franc.
                Après un moment d’incrédulité, les économistes libéraux qui prévoyaient l’inverse durent bien se rendre à l’évidence. D’un côté, l’euro semblait durablement plombé par les crises italienne, espagnole, irlandaise et grecque. De l’autre, la politique volontariste et le protectionnisme autoritaire de la France laissaient entrevoir pour l’Hexagone une croissance retrouvée et des performances économiques supérieures à la moyenne de l’UE. De façon finalement fort logique, les marchés avaient donc joué la France contre la zone euro, ce qui se traduisait par un taux de change favorable à notre monnaie nationale. Comme l’expliqua Elie Cohen avec son bon sourire, lors du JT du lendemain, « le capitalisme n’a ni pudeur, ni états d’âme : il n’hésite jamais à reconnaître ses erreurs et à prendre le profit là où il est ».
-      Mais, demanda Claire Chazal, c’est plutôt une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
-      C’est une bonne nouvelle. Cela signifie que les importations dont nous ne pouvons pas nous passer, et qui sont payables en euros ou en dollars, vont nous coûter moins cher. A commencer par le pétrole, évidemment…
-      D’accord. Mais par contre, nos exportations vont coûter plus cher à nos voisins. Elles risquent de ralentir.
-      Pas forcément. D’abord, le gouvernement mise surtout sur notre demande intérieure. Avec les mesures protectionistes qui ont été prises, nous avons recommencé à fabriquer ce que nous consommons, et à consommer ce que nous fabriquons. Notre économie dépend beaucoup moins de nos ventes à l’étranger que de nos propres achats intérieurs. Quant à ce que nous exportons, ce sont pour l’essentiel des produits irremplaçables, inimitables : produits de luxe, produits du terroir, produits de haute technologie à forte valeur ajoutée intellectuelle… Nous avons fait le choix de la qualité, voire de l’excellence, et ce choix nous protège. Je prendrai un seul exemple : malgré les mesures de rétorsion du gouvernement américain à l’égard des produits français, les ventes d’Evian continuent de se développer aux Etats-Unis. Evian est toujours l’eau importée la plus vendue là-bas. Et idem au Japon. Voyez-vous, même en cas de hausse des prix, la qualité trouve toujours preneur…

     Un mois après le retour au franc, il était clair pour tous les observateurs que, à court terme, le pari était gagné. Alors que l’économie allemande montrait à son tour des signes d’essoufflement, le taux de change sur les marchés internationaux restait imperturbablement favorable à notre monnaie. Nos entreprises restaient toutefois protégées par les taxes à l’importation, de sorte qu’emploi et production affichaient de mois en mois des taux de progression parallèles et encourageants. Suite aux incitations gouvernementales, départements et communes avaient lancé des programmes de construction de logements ; des programmes petits et nombreux axés sur la construction de pavillons plutôt que de tours et dont la réalisation, le plus souvent, était confiée à des PME locales. Pour aider les familles à changer de logement lorsqu’elles s’agrandissent, un système de « crédit-logement au nouveau-né » avait été mis en place : qu’elle fût propriétaire ou locataire, toute famille attendant une naissance pouvait emprunter à taux réduit une somme correspondant à 20% de la valeur de son habitation du moment. Le bâtiment allait et, comme chacun sait, quand le bâtiment va, tout va.

(A suivre)

Vingt-troisième épisode : Post coïtum statu.


      Quatre mois plus tard, la fin du monde n’avait toujours pas eu lieu. Les quartiers ravagés par les émeutes avaient été sinon rebâtis, du moins nettoyés et remis en état avec le concours de l’armée et, sous solide encadrement, celui des casseurs capturés lors des affrontements et condamnés à des peines d’intérêt général. La rentrée des classes s’était correctement passée, d’autant que des patrouilles militaires arpentaient régulièrement de nombreux quartiers dits sensibles. Pour le plus grand bonheur du maire de Sevran, les halls d’immeubles de ses cités – comme d’ailleurs de nombreux autres – avaient été vidés de leurs dealers. Cela n’avait pas été sans heurts, mais on constatait que l’armée bénéficiait aux yeux des habitants d’un prestige que la police avait malheureusement perdu et qui lui facilita considérablement la tâche. Du reste, l’opération de recrutement lancée dans les zones difficiles fut un réel succès.
      L’annonce de l’abandon de l’euro par la France avait provoqué une forte baisse de la monnaie européenne face au yen et au dollar. Cela eut pour effet bénéfique de doper les exportations des pays de l’union, de diminuer proportionnellement leur dette et de rendre moins attractives les délocalisations vers les pays asiatiques. On enregistra la commande ferme par American Airlines de douze A-340, au détriment de Boeing. En revanche, la facture énergétique s’en trouva augmentée, avec pour effet de rendre plus compétitives les sources d’énergie alternatives et donc d’accroître les recherches et les investissements les concernant. Anticipant le prochain retour au franc et le renchérissement du pétrole qui s’ensuivrait sans doute, échaudés par l’exemple japonais quant au risque nucléaire, EDF et Total se lançèrent conjointement dans un programme massif de recherche sur l’optimisation de l’énergie solaire et de la géothermie. De son côté, le gouvernement tint sa promesse et diminua la TIPP pour éviter toute augmentation des prix à la pompe.
       Sous l’égide de Laurent Fabius, les plus grandes banques françaises avaient été nationalisées et leurs activités d’affaires et de dépôts avaient été séparées. Chacune avait reçu un objectifs précis en termes de crédit consenti aux PME-PMI, dont le montant ne devait pas représenter moins de 50% du montant total des crédits octroyés aux entreprises. Et dans ces 50%, un tiers au moins devait concerner des entreprises datant de moins de cinq ans. Les patrons des banques, nommés par Bercy, avaient été clairement avertis qu’ils joueraient leur place en priorité sur le respect de ce critère. Et c’est ainsi qu’on avait pu assister au spectacle inhabituel de banquiers démarchant des créateurs d’entreprises pour leur proposer de l’argent.
      L’économie européenne résista plus que bien à la décision française de moratoire sur le paiement de ses dettes. Après tout, il ne s’agissait que d’un trou de cent vingt milliards d’euros par an, peu de chose en comparaison des quatre mille milliards de dollars volatilisés en trois semaines lors de la crise de 2008. Et puis, ce n’était pas de l’argent disparu mais différé. Dès le lendemain de l’annonce, les créances françaises se négociaient avec une très légère décote. Deux jours plus tard, des produits de placement fondés sur les espérances de croissance française à cinq ans et finement surnommés « French litters » avaient fait leur apparition et s’échangeaient sur toutes les places mondiales. Le choc avait été absorbé.
      Anticipant l’augmentation des prix que provoqueraient le retour au franc et l’instauration de la taxe à l’importation, de très nombreux consommateurs s’étaient précipités pour acheter qui le iPad, qui l’écran plat, qui l’ordinateur, qui le frigo californien fabriqués en Chine ou en Asie du Sud-est. Le mois de novembre 2012 avait ainsi été euphorique pour les détaillants de produits informatiques ou électro-ménagers. En revanche, et contrairement aux prédictions des Cassandres libérales, on ne constata aucune baisse particulière des exportations françaises : parfums, sacs Vuitton, champagnes et cognacs réalisèrent à l’étranger, en cette période de fêtes, leurs volumes de vente habituels.
      Les mesures de crédit obligatoire et le renchérissement annoncé des importations avaient dynamisé les PME nationales, de sorte qu’on constatait déjà une diminution du nombre des chômeurs. Cette amélioration de l’emploi, jointe à l’augmentation des prestations sociales, aux achats anticipés et à la période de Noël, boosta la consommation et redonna confiance aux Français. Il semblait bien qu’on était entrés dans une spirale vertueuse. Pour le reste, le fait d’être sous la direction d’un comité militaire ne changeait pas grand chose à la vie quotidienne et les citoyens s’en accommodaient sans grand mal. Franchement, semblaient-ils dire, si on vivait sous la trique, c’était une trique extrêmement supportable.
      Il régnait d’ailleurs dans le pays une sorte de consensus étrange. Une fois admis le coup de force, chacun semblait en avoir pris son parti. L’assemblée nationale, désormais présidée par Jean-Marc Ayrault, avait voté la confiance au nouveau gouvernement sans trop s’interroger sur sa légitimité. Les leaders syndicaux, après leurs entrevues avec Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, avaient admis la nécessité d’un climat social apaisé que la forte augmentation du SMIC leur avait permis d’obtenir sans problème. La presse observait une sorte de pacte de non-agression et s’il arrivait qu’un quotidien ou un magazine ose une « Une » agressive ou trop ironique, les faibles ventes lui faisaient rapidement comprendre que l’opinion publique n’était pas à l’unisson. Du reste, les journalistes du Canard enchaîné s’arrachaient les cheveux devant la complète absence d’échos croustillants comme de mini-scandales. Il n’y avait aucune censure, mais il y avait mieux : une certaine forme de gravité sereine. L’audience des Guignols de l’info était en chute libre. La dérision, le sarcasme, ne trouvaient plus preneur. On sentait comme une sorte d’attente respectueuse ; peut-être même une forme d’espoir. On aurait dit que le pays, collectivement, reprenait conscience de lui-même.

(A suivre)

Vingt-deuxième épisode : Commentaires ministériels.



       Le drapeau fut suivi, sur toutes les chaînes, des mêmes images. Dans un studio sans logo, installé derrière un pupitre blanc, Bertrand Delanoë faisait face à David Pujadas, Arlette Chabot et Laurence Ferrari. Une interview en bonne et due forme, à laquelle le Premier ministre se soumit avec son habituel mélange d’application et de bonhomie. Non, il n’avait pas longtemps hésité avant d’accepter de diriger le gouvernement mis en place par le comité de Sauvegarde : l’urgence était de tirer le pays de ses difficultés. Oui, il approuvait l’ensemble des mesures qui venaient d’être annoncées, y compris l’abandon de l’euro et les mesures protectionnistes. Oui, il avait conscience que la France rompait ainsi différents accords internationaux, mais la France était souveraine et libre de disposer de son avenir comme elle l’entendait. Oui, il savait que la note « AAA » de la France allait être fortement dégradée mais cela n’avait guère d’importance à court terme puisqu’il n’était plus question d’emprunter sur les marchés internationaux. Oui, il savait que le franc risquait de se dévaluer et d’accroître ainsi le prix du pétrole, mais l’Etat prenait l’engagement de baisser alors les taxes pétrolières afin que les prix à la pompe demeurent les mêmes. Sur l’emploi des cent vingt milliards d’euros dégagés par le moratoire, Bertrand Delanoë précisa qu’ils seraient consacrés en priorité à la rénovation des établissements scolaires, à la formation des enseignants, à la construction de centres d’apprentissage, au recrutement de nouveaux magistrats et à la création de prisons. Il évoqua aussi l’ouverture de centres destinés aux jeunes délinquants, qui seraient désormais séparés des récidivistes et formés pour aller travailler le temps de leur peine, sous encadrement militaire, sur des chantiers à vocation sociale ou dans des pays en voie de développement.
-      Et, fit Laurence Ferrari, d’autres mesures sont à l’étude ?
-      Oh, oui. Nous allons nous attaquer à la question des retraites et des charges patronales. Par ailleurs, nous étudions la suppression du cumul des mandats, ou en tout cas sa limitation. Et nous envisageons de rayer le 8 mai et le jour de l’Ascension de la liste des jours fériés, pour les remplacer par Roch-Hachana et par l’Aïd-al-Adha qui deviendraient deux journées officiellement chômées. Mais pour cela, nous devons consulter les représentants des différents cultes concernés.
-      Pourquoi cela ? fit Laurence Ferrari.
-      Eh bien, au nom de la laïcité, nous ne trouvons pas normal que seules les fêtes chrétiennes soient chômées dans notre pays. C’est l’héritage d’une tradition tout à fait respectable, mais nos compatriotes juifs ou musulmans doivent pouvoir eux aussi profiter pleinement de leur principale fête religieuse. Et comme nous ne voulons pas multiplier les jours fériés, il faut bien en enlever certains pour en rajouter d’autres… Ah et puis, pendant que j’y suis, notez aussi que nous allons construire trois mille mosquées dans les différentes villes de France. Des mosquées discrètes, sans minaret ni haut-parleurs extérieurs.
-      Mais, fit Arlette Chabot, c’est contraire au principe de laïcité !
-      Non. L’Etat va avancer l’argent, mais il sera remboursé. D’un côté, nous allons augmenter d’un point et demi la TVA sur les produits hallal pour financer les travaux. De l’autre, pendant un certain temps, l’entrée de ces mosquées sera payante pour tous les fidèles. Entre vingt et quarante centimes l’entrée ; ce n’est pas encore décidé.
-      Vous voulez faire payer l’entrée dans des lieux de culte ?
-      Et pourquoi pas ? Les chrétiens font bien une quête pendant leurs offices…

       Le lendemain de l’allocution, la presse internationale se déchaîna. En Allemagne, le Welt dénonçait un véritable coup de poignard français. En Italie, la Stampa et le Corriere déploraient en termes vifs que la France se retire ainsi de l’opération de sauvetage des économies européennes. En Espagne, El Pais s’effarait de l’audace française et se demandait si le voisin d’outre-Pyrénées survivrait longtemps à son « splendide isolement militaro-économique ». A Londres, le Times rendit compte du discours en termes distanciés, tandis que le Sun félicitait les « froggies » d’avoir enfin compris, au bout de treize ans seulement, ce que les citoyens britanniques avaient senti dès 1999. Dans Le Monde, Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC, oublia définitivement ses convictions socialistes pour fustiger « cet intolérable manquement aux règles les plus élémentaires de la concurrence internationale ». Herman von Rompuy, le transparent président de l’UE, révéla que la décision française « lui faisait beaucoup de peine ». Seul Newsweek joua les iconoclastes en publiant sur sa couverture un fier coq gaulois accompagné d’une légende provocante : « Et si les Français avaient raison ? ».

(A suivre)