Vingt-quatrième épisode : Retour au franc.


                 En somme, à trois semaines de la date fatidique qui marquerait le retour au franc, les membres du comité de Sauvegarde comme ceux du gouvernement avaient le sentiment que les choses se présentaient au mieux. Il faut d’ailleurs souligner – même si les membres du PS comme de l’UMP se seraient fait éplucher sur place plutôt que de l’avouer – que cette mesure d’abandon de l’euro avait figuré sur toutes, absolument toutes les listes de mesures que les divers partis avaient soumis au comité le surlendemain du coup d’état. Les travaux préparatoires avaient donc été menés avec une réelle bonne volonté et une totale implication. La banque de France, bientôt rétablie dans ses prérogatives, avait fait tourner ses presses pour imprimer en quantités suffisantes les billets de cinq à cinq cents francs qui, dès le 1er janvier, viendraient se substituer à la monnaie européenne. Dans les bureaux de poste et les agences bancaires, on se préparait avec un peu de fébrilité au prévisible afflux des clients désireux de procéder à l’échange. La parité officielle serait, quoi qu’il advienne, de un pour un pendant tout le mois de janvier et il était prévu que, durant cette période, la double circulation serait tolérée.
      Lors du conseil des ministres du 5 décembre, le général de Boisguibert conclut la réunion en exprimant sa satisfaction pour le travail réalisé et sa confiance quant aux résultats à venir. Puis il demanda au Premier ministre de prévoir, pour le mois de février 2013, l’organisation d’un référendum.
      En fait, le 1er janvier 2013, les choses se passèrent très calmement. Les Français avaient réveillonné la veille au soir, ils firent pour beaucoup la grasse matinée et les employés de La Poste ou des banques, installés derrière leurs guichets dès dix heures du matin, ne virent arriver qu’un nombre raisonnable de clients. La vraie surprise arriva le lendemain, lorsque les premières cotations s’établirent entre le franc et l’euro : un euro s’échangeait à 0,973 franc.
                Après un moment d’incrédulité, les économistes libéraux qui prévoyaient l’inverse durent bien se rendre à l’évidence. D’un côté, l’euro semblait durablement plombé par les crises italienne, espagnole, irlandaise et grecque. De l’autre, la politique volontariste et le protectionnisme autoritaire de la France laissaient entrevoir pour l’Hexagone une croissance retrouvée et des performances économiques supérieures à la moyenne de l’UE. De façon finalement fort logique, les marchés avaient donc joué la France contre la zone euro, ce qui se traduisait par un taux de change favorable à notre monnaie nationale. Comme l’expliqua Elie Cohen avec son bon sourire, lors du JT du lendemain, « le capitalisme n’a ni pudeur, ni états d’âme : il n’hésite jamais à reconnaître ses erreurs et à prendre le profit là où il est ».
-      Mais, demanda Claire Chazal, c’est plutôt une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
-      C’est une bonne nouvelle. Cela signifie que les importations dont nous ne pouvons pas nous passer, et qui sont payables en euros ou en dollars, vont nous coûter moins cher. A commencer par le pétrole, évidemment…
-      D’accord. Mais par contre, nos exportations vont coûter plus cher à nos voisins. Elles risquent de ralentir.
-      Pas forcément. D’abord, le gouvernement mise surtout sur notre demande intérieure. Avec les mesures protectionistes qui ont été prises, nous avons recommencé à fabriquer ce que nous consommons, et à consommer ce que nous fabriquons. Notre économie dépend beaucoup moins de nos ventes à l’étranger que de nos propres achats intérieurs. Quant à ce que nous exportons, ce sont pour l’essentiel des produits irremplaçables, inimitables : produits de luxe, produits du terroir, produits de haute technologie à forte valeur ajoutée intellectuelle… Nous avons fait le choix de la qualité, voire de l’excellence, et ce choix nous protège. Je prendrai un seul exemple : malgré les mesures de rétorsion du gouvernement américain à l’égard des produits français, les ventes d’Evian continuent de se développer aux Etats-Unis. Evian est toujours l’eau importée la plus vendue là-bas. Et idem au Japon. Voyez-vous, même en cas de hausse des prix, la qualité trouve toujours preneur…

     Un mois après le retour au franc, il était clair pour tous les observateurs que, à court terme, le pari était gagné. Alors que l’économie allemande montrait à son tour des signes d’essoufflement, le taux de change sur les marchés internationaux restait imperturbablement favorable à notre monnaie. Nos entreprises restaient toutefois protégées par les taxes à l’importation, de sorte qu’emploi et production affichaient de mois en mois des taux de progression parallèles et encourageants. Suite aux incitations gouvernementales, départements et communes avaient lancé des programmes de construction de logements ; des programmes petits et nombreux axés sur la construction de pavillons plutôt que de tours et dont la réalisation, le plus souvent, était confiée à des PME locales. Pour aider les familles à changer de logement lorsqu’elles s’agrandissent, un système de « crédit-logement au nouveau-né » avait été mis en place : qu’elle fût propriétaire ou locataire, toute famille attendant une naissance pouvait emprunter à taux réduit une somme correspondant à 20% de la valeur de son habitation du moment. Le bâtiment allait et, comme chacun sait, quand le bâtiment va, tout va.

(A suivre)