Onzième épisode : Un banquier se lâche.


      Saluant l’échec de la réunion, les taux d’intérêt consentis à la plupart des pays de la zone euro montèrent d’un demi-point. Sur ordre de l’Elysée le ministre des Finances, Marylise Lebranchu, fit venir à Bercy les présidents des plus grandes banques et compagnies d’assurances françaises. La rencontre fut houleuse. Elle aurait dû rester discrète, mais le fait est que plusieurs journalistes attendaient à la sortie quand banquiers et grands patrons quittèrent les lieux. L’un d’eux, plus remonté ou plus imprudent que les autres, se laissa aller à une déclaration en direct. « Il est absolument hors de question, fulmina-t-il, que des banques et des entreprises privées se voient contraintes de payer pour financer les erreurs de gestion des divers gouvernements ». La déclaration, on l’imagine, fut particulièrement appréciée. Les médias manquaient de sujets en cette période estivale ; ils surent monter l’affaire en épingle. Tout y passa : les milliards d’euro de bénéfice annuel, les bonus à six chiffres des traders, les salaires pharamineux des PDG du CAC 40, le sauvetage des banques grâce aux deniers publics en 2008, l’affaire Kerviel et même le rappel de l’affaire du Crédit Lyonnais en 1993 et des vingt milliards d’euros acquittés à l’époque par les contribuables, sans oublier le détail des mille et une astuces – jours de valeur, commissions de découvert et autres – grâce auxquelles les banques s’enrichissent sur le dos de leurs petits clients. La pression sur les dirigeants de bancassurance se fit terrible ; ils comprirent qu’ils ne pourraient pas éviter de mettre la main à la poche et prirent dès lors les mesures nécessaires pour répercuter sur leur clientèle le coût de la prévisible ponction. Ainsi, sous la double influence des marchés internationaux et du gouvernement, les taux d’intérêt français augmentèrent brusquement de deux points.
      Le 15 juillet, les chiffres de l’économie américaine avaient été publiés. Ils s’étaient révélés moins bons qu’attendus. Le 20 juillet, les agences Moody’s et Fitch dégradèrent à leur tour la note des Etats-Unis. La Chine et l’Inde firent aussitôt savoir qu’elles se délestaient d’une partie de la dette américaine. Le surlendemain, David Cameron annonça que son pays créait un fonds spécial destiné à racheter des bons du Trésor américain et à « manifester ainsi sa totale confiance dans la capacité de redressement de la première puissance industrielle mondiale ». Le vieux réflexe atlantiste avait joué. Angela Merkel téléphona à Martine Aubry pour lui signifier qu’elle ne croyait plus pouvoir redresser avec la seule France une situation qui s’aggravait chaque jour. L’unité européenne se lézardait. La réaction des marchés fut presque immédiate ; les taux d’intérêt grimpèrent encore et, en France, le crédit à la consommation comme celui au logement augmentèrent à nouveau de près de deux points.
      En vieille copine, Marylise Lebranchu ne prit pas de gants pour expliquer la situation à la Présidente :
-      Nos banquiers sont complètement irresponsables ! éclata-t-elle. Pour plus de la moitié des ménages français, l’essentiel du patrimoine est constitué par la résidence principale et parfois par un appartement qu’ils ont acheté pour le louer et se faire un complément de retraite. Si les banques augmentent encore les taux d’intérêt, elles vont nous flinguer le marché immobilier et provoquer un effondrement des prix. Ce sera la panique chez les petits épargnants. Il faut absolument éviter ça !
-      Et qu’est-ce que je peux faire ?
-      Il faut mettre les banquiers au pas d’une façon ou d’une autre. Et il faut rassurer les Français sur leurs revenus dans l’avenir, éviter la panique. Il faut leur montrer que tu tiens la barre.
Le surlendemain, un communiqué de presse de Matignon informait les Français que, dès la rentrée, le Premier ministre convoquerait l’ensemble des partenaires sociaux pour « un Grenelle des retraites et de la sécurité sociale ». L’annonce, tombant de manière inattendue en plein milieu de l’été, fut reçue avec inquiétude.

(A suivre)