Dixième épisode : A l'étranger...



                Les péripéties de la politique intérieure avaient un peu fait oublier le reste du monde, mais le reste du monde n’en continuait pas moins d’exister. Et, pour sa plus grande partie, plutôt mal que bien. Le 4 juillet on apprit que Moody’s abaissait de deux crans la note du Japon, le 5 qu’une zone de soixante-dix kilomètres autour de Fukushima avait été évacuée dans l’urgence et le 6 que le Premier ministre japonais avait fait seppuku après avoir remis sa démission à l’empereur. En Espagne, les fonctionnaires avaient été avertis qu’ils ne toucheraient à la fin du mois que la moitié de leur traitement, le temps pour le gouvernement de finaliser quelques économies. L’Italie devait faire face à un afflux massif de réfugiés libyens et on signalait déjà plusieurs cas meurtriers d’affontements avec les populations locales. En Belgique, la crise gouvernementale durait, la dette s’aggravait et la partition entre Wallons et Flamands semblait désormais inévitable. Le 11 juillet, on apprit qu’un fonds d’investissement chinois était désormais l’actionnaire majoritaire de la chaîne de magasins américaine Wal-Mart et détenait 32% du capital de Walt Disney. Le gouvernement chinois en profitait pour « appeler avec la plus grande fermeté » les Etats-Unis à davantage de rigueur budgétaire. Les relations internationales se tendaient. François Bayrou, retiré à Luchon depuis qu’il avait perdu au premier tour son mandat de député, publia un communiqué de presse pour faire état de « sa préoccupation ».
      Le 14 juillet, Eva Joly dut assister bon gré mal gré à un défilé militaire aussi parfaitement organisé et réglé que de coutume. Dans l’entretien télévisé qu’elle accorda à la suite de la cérémonie, Martine Aubry parut tendue et fatiguée. Elle annonça qu’elle partait l’après-midi même pour Bruxelles où se tiendrait une réunion exceptionnelle des chefs d’Etat européens.
En regagnant l’Elysée après le défilé militaire, Martine Aubry eut un bref échange avec Jean-Marc Germain, le secrétaire général de la Présidence :
-      Comment s’appelle-t-il, déjà, le général commandant la place de Paris ?
-      Général André Coëtlogon, madame la Présidente.
-      Il va falloir s’occuper de son cas.
Germain travaillait au quotidien avec Martine Aubry depuis plus de quinze ans ; il comprit illico ce que cela voulait dire.
-      Certainement, madame la Présidente. Je vais y veiller. Puis-je vous demander pourquoi ?
-      Il s’obstine à m’appeler « Madame le Président ». Ça m’agace.

      Dans les faits, la fameuse réunion à Bruxelles n’eut pas grandes conséquences. Pour Martine Aubry, ce fut l’occasion de participer pour la première fois à une réunion internationale en tant que chef d’Etat mais, pour le reste, aucune décision notable ne fut prise. Il fallait reconduire le plan de soutien à la Grèce, achever le soutien à l’Irlande et au Portugal, et continuer de soutenir l’Italie et l’Espagne. La BCE y avait déjà consumé ses réserves. Après huit heures d’échanges au cours desquelles les divers conseillers avaient rivalisé de virtuosité technocratique, on finit par comprendre que les considérations juridiques, les termes abstrus et les calculs de mathématiques financières se résumaient au bout du compte à une formule simple : « On ne peut pas tondre un œuf ». Autrement dit, il fallait trouver de l’argent ailleurs. Deux pistes furent évoquées : une taxation des transactions financières et une contribution de l’ensemble des banques et des compagnies d’assurances de la zone euro au Fonds Européen de Stabilité Financière. Evoquées seulement, car sitôt qu’ils entendirent parler du second point et sans s’être concertés, Angela Merkel et David Cameron réclamèrent un ajournement de séance. Sur le chemin du retour, en contemplant d’un œil morne le plancher de nuage par le hublot de l’A-330 présidentiel, Martine Aubry se dit avec nostalgie que, décidément, ce n’était pas de la tarte.

(A suivre)