Neuvième épisode : Une raclée.


      Les semaines suivantes, politiquement, furent axées sur la préparation des élections législatives. Un nombre conséquent de députés UMP s’étaient d’ores et déjà désolidarisés du parti et labouraient leur circonscription en long et en large avec l’intention de s’y représenter sans étiquette. D’autres tout aussi nombreux, qui avaient discrètement tenté d’approcher le FN, n’y reçurent que des sarcasmes tandis que le Nouvel Obs, informé de la chose sur instruction de Marine Le Pen, se faisait un plaisir de révéler leurs noms dans sa rubrique « Téléphones Rouges ». Rue de Solférino, on acheva de mettre au point les détails des accords avec le PRG et Europe Ecologie, et on prit langue avec le Front de Gauche pour tenter d’éviter les luttes inutiles. Le deal avec l’allié Vert était de lui laisser trente-cinq circonscriptions « gagnables » ; mais chez Europe Ecologie on comprit vite que les critères du PS pour évaluer si une circonscription était ou non gagnable baignaient dans un certain flou. Les socialistes s’obstinaient ainsi à proposer à leurs alliés la troisième circonscription des Côtes-d’Armor ou la troisième circonscription du Cher, en faisant valoir leur caractère rural et en semblant oublier que l’écologie défendue par les Verts ne trouvait nulle part autant de partisans qu’en plein cœur des villes, en général dans des quartiers « tendance ».  Avec le Front de Gauche, en revanche, les accords furent vite trouvés : socialistes et communistes se connaissaient depuis assez longtemps pour ne pas avoir besoin de se raconter d’histoires.
      Chez Jean-François Copé, on cultivait un optimisme de façade qui cachait mal l’angoisse de la trop prévisible raclée. Certains évoquaient le souvenir des élections de 1993 et de la « vague bleue » qui avait fait perdre à la gauche deux cent vingt de ses trois cents sièges. Une débâcle historique. Serait-il possible que l’UMP connaisse à son tour une pareille dérouillée ? Pris en tenaille entre un FN en pleine croissance et une gauche unie, lâché par son leader historique, lézardé par des rivalités internes, l’ex-parti présidentiel faisait bien triste figure.
      Les résultats furent à la hauteur des inquiétudes. Le 10 juin, au soir du premier tour, l’UMP avait perdu ou était menacée de perdre plus de deux cent trente sièges. Un certain nombre de circonscriptions emblématiques étaient conservées : celles englobant Neuilly-sur-Seine, Levallois-Perret, Boulogne-Billancourt, Deauville, Megève ou Chantilly, par exemple, se donnèrent à la droite dès le premier tour. Mais à Meaux, Jean-François Copé frôla de peu le ballottage en obtenant 50,38% des voix, tandis que Xavier Bertrand était contraint à un second tour dans son fief de Saint-Quentin face à un candidat frontiste et que François Fillon, dans la Sarthe, se retrouvait en situation difficile face au PS. A l’inverse, Marine Le Pen, Steeve Briois et plusieurs autres figures frontistes étaient élues dès le premier tour. Et dans la plupart des circonscriptions, les candidats UMP devaient affronter qui un socialiste, qui un FN, qui un communiste, sans aucune garantie de succès. Bref, il y avait le feu.
      Au soir du second tour, le désastre de la droite traditionnelle était consommé. Le PS obtenait 375 députés, Europe Ecologie 19, le Front de Gauche 31, le PRG conservait ses 7 sièges et CAP21, le petit parti de Corinne Lepage, en obtenait 2 consentis par le PS. Au total, la gauche et ses alliés avaient conquis quatre cent trente-quatre sièges sur les cinq cent soixante dix-sept. Une majorité plus qu’écrasante. Pire encore pour l’UMP : le Front National avait décroché 59 sièges, le parti de Jean-François Copé n’en conservant que 84. La Bérézina. Les dirigeants de l’UMP durent subir, la mort dans l’âme, l’humiliation de commenter leurs résultats sur les divers plateaux de télévision. Sur la 2, confronté à un Bruno Gollnisch rayonnant et à un Cambadélis rigolard, le pauvre Copé affichait la mine d’un basset artésien qui se serait pris la queue dans une porte. Les spectateurs en avaient mal pour lui et David Pujadas lui parlait avec la douceur attentive que l’on réserve d’ordinaire à un malade grave. Seule et maigre consolation : ceux qui avaient quitté le navire UMP pour se présenter sans étiquette avaient tous, sans exception, été balayés.
      Quoi qu’il en soit, le véritable événement de ces deux élections restait l’irruption du Front National. Qu’on le veuille ou non, le parti extrémiste avait su trouver le chemin des urnes et pesait désormais lourdement dans la vie politique française. Les responsables des autres partis durent se plier à une gymnastique nouvelle : apprendre à parler du FN de façon formellement respectueuse, et reconnaître son succès sans en évoquer les raisons. Un non-dit implicite et consensuel s’instaura ainsi tant sur le sujet de l’islamisme radical que sur celui des banlieues « difficiles ». A l’UMP, au PS et chez leurs alliés, on appliquait à ces thèmes la vieille formule de Gambetta : « Y penser toujours, n’en parler jamais ».
      Dans les jours qui suivirent, Laurent Fabius fut élu sans difficulté président de l’Assemblée nationale. Puis les Français partirent en vacances. Du moins, ceux qui le pouvaient.

(A suivre)