Cinquième épisode : Le Premier tour.


       Le résultat du premier tour fut presque sans surprise. En dépit du chassé-croisé des vacances, l’élection avait mobilisé près de trente-neuf millions d’électeurs. Marine Le Pen arrivait en tête avec 22,93% des voix. Martine Aubry, avec 13,58%, était qualifiée pour le second tour. Nicolas Sarkozy était le troisième homme avec 12,31%. La surprise venait de Jean-Luc Mélenchon : le tonitruant candidat du Front de Gauche réalisait le score plus qu’honorable de 12,17%. Ségolène Royal, avec 8,44% des voix, avait bien failli faire perdre son camp. Corinne Lepage avait convaincu 8,05% des électeurs et Eva Joly à peine 4,64%. Venaient ensuite le candidat des chasseurs, Frédéric Nihous, crédité de 3,97% des voix puis le vieux lion de Belfort, Jean-Pierre Chevènement, qui en avait recueilli 3,32%. François Bayrou, à mille lieues de ses rêves, avait obtenu 3,19% ; juste assez pour surclasser les 2,84% de Nicolas Dupont-Aignan.
       En se rendant sur le plateau de TF1 pour commenter ces résultats, Martine Aubry savait déjà qu’elle avait gagné. Elle eut la finesse de ne le laisser voir à aucun moment, rappelant à chaque intervention que le FN était arrivé en tête et que « sans insulter les électeurs qui ont voulu faire ce choix pour les raisons qui leur appartiennent, il importe néanmoins que toutes les forces de progrès se mobilisent pour faire triompher les valeurs que nous partageons ». L’exercice était délicat : il fallait en appeler au « front républicain » sans offenser pour autant les neuf millions de Français qui avaient placé Marine Le Pen en tête des candidats. Martine Aubry s’en tira brillamment, comme toujours lorsqu’il s’agissait de louvoyer.
       Cette soirée électorale fut l’occasion d’un incident triste et pénible. Sur TF1, vers 20h30, François Bayrou avait commenté son résultat en dénonçant « l’incompréhension des Français » et en répétant que « ce n’est pas parce qu’on est seul que l’on a tort ». Il s’était ensuite rendu dans les studios de France 2 pour s’y livrer au même exercice obligé. Mais lorsque ce fut son tour de parler, il fixa David Pujadas d’un œil légèrement vitreux, puis commença un discours pour remercier « les 7 millions de Français qui lui avaient accordé leur confiance ». David Pujadas l’interrompit :
-      Vous voulez dire, « le million » ?
-      Mais non, voyons ! Il y a eu trente-neuf millions de votants. 19% de trente-neuf, ça fait plus de sept. Apprenez à compter, Monsieur Pujadas.
-      Mais, fit l’autre, passablement interloqué, vous avez obtenu 3%...
-      Vous êtes fou ! J’ai fait 18,57% !
-      Euh, en 2007, oui. Mais cette fois, vous avez fait 3%. Enfin, 3,19…
-      Je ne goûte guère cette plaisanterie, M. Pujadas !
Arrivé là, le journaliste réalisa soudain que François Bayrou était victime en direct de la même crise d’amnésie monomaniaque qui l’avait déjà frappé face à Yann Barthès sur le plateau du Petit journal, seize mois plus tôt. Maîtrisant sa panique, il fit un signe en direction des caméras. L’émission fut suspendue quelques minutes et lorsque l’image revint sur les écrans, c’était celle d’un David Pujadas dialoguant avec Laurent Fabius. Le patron du MoDem avait été exfiltré en douceur.

(A suivre)