Quatrième épisode : Les Excités.


       Le 1er avril, en milieu d’après-midi, une cinquantaine de personnes se regroupèrent sur la Grand-Place de Roubaix. Les femmes avaient les cheveux couverts d’un voile ; la plupart des hommes étaient barbus et certains portaient une djellaba. L’un d’eux, brandissant un mégaphone, sortit des rangs et commença d’exiger à grands cris l’instauration de la charia dans la ville et son détachement du territoire français. Les passants, ahuris, s’étaient peu à peu massés sur la place pour assister au spectacle. Plusieurs d’entre eux enregistraient la scène à l’aide de leurs portables. Certains, étant donné la date, supposaient une blague de mauvais goût. D’autres criaient à la provocation. L’orateur conclut son prêche en brandissant un exemplaire du Code civil, avant de cracher dessus et de le jeter violemment dans le caniveau sous les acclamations de son public. Un passant révolté voulut intervenir. Ce fut l’altercation, qui dégénéra très vite en bagarre entre une douzaine de personnes que les autres tentaient vainement de séparer. Dépêchée tardivement, une caméra de FR3-Nord arriva pour filmer l’intervention des forces de police et l’interpellation de quelques bagarreurs.
        L’enquête révéla que l’orateur, un dénommé Moussad Djourahi, était un excité connu depuis longtemps des autorités et sans véritable influence. Mais l’effet des images fut terrible. D’abord diffusées  sur FR3-Nord, elles furent reprises le lendemain midi par les chaînes nationales et agrémentées des prises de vues réalisées par certains des témoins. Le visage haineux de l’orateur, les hommes barbus et les femmes voilées, leurs applaudissements, le Code civil outragé, la bagarre, l’intervention policière, tout cela passa et repassa en boucle à la télé comme sur Internet. En quelques heures, la campagne s’était cristallisée.
       Fine politique, Marine Le Pen se garda d’en rajouter : les images parlaient trop bien par elles-mêmes. Dalil Boubakeur, Mohammed Moussaoui et d’autres intervinrent au nom des Français musulmans pour désavouer l’excité. Martine Aubry, interviewée par Libération, s’appuya sur son expérience comme maire de Lille pour dénoncer les amalgames et prôner « le respect dans la laïcité ». Nicolas Sarkozy affirma la nécessité de la fermeté républicaine « contre toutes les dérives et contre tous les délires ».  François Bayrou publia un communiqué de presse pour signaler qu’il était « alarmé ». Ségolène Royal suggéra de dispenser dès la maternelle des cours de « catéchisme républicain ». Les sites «Riposte laïque » ou « fdesouche » furent littéralement pris d’assaut par des dizaines de milliers d’internautes. Lors d’une émission de C dans l’air, Yves Calvi diffusa les images d’une manifestation islamiste similaire qui s’était tenue à Limoges en septembre 2010 dans l’indifférence quasi-générale. Ce fut un record d’audience. Les sondages commandés à la hâte révélèrent qu’une majorité d’électeurs éprouvaient de la colère, de l’indignation et de la peur face à ce qu’ils ressentaient désormais comme une menace réelle.
       Lorsque Nicolas Sarkozy prit connaissance de ces sondages, il regarda Brice Hortefeux et n’eut qu’une phrase, rageuse : « On peut faire les valises ».

(A suivre)