Troisième épisode : C'est plat, la campagne...


                La campagne présidentielle fut ce qu’elle fut, avec ses grands moments et ses petites manœuvres. Dominique de Villepin ne put se présenter, faute d’avoir obtenu les cinq cents signatures requises. Yves Pietrasanta non plus mais, comme il était peu connu, l’opinion ne s’en aperçut guère. L’hiver, morose, fut rythmé par les chiffres d’un chômage en croissance et par les annonces désormais rituelles de morts de SDF. Noël passa sans enthousiasme. En janvier, une embuscade afghane tua sept militaires français. A l’issue de leurs funérailles filmées en direct sous une pluie fine dans la cour des Invalides, Nicolas Sarkozy, visage grave et lèvres pincées, annonça que l’état du pays et son sens des responsabilités lui imposaient de se présenter pour un nouveau mandat. Une semaine plus tard, engoncé dans un gilet de sauvetage orange et en direct d’une chaloupe de la SNSM, François Bayrou annonçait sa candidature depuis le large de Brest. Le Canard enchaîné, perfide, fit remarquer que « une fois encore, le président du MoDem s’était montré complètement à l’ouest ».
               A la surprise de beaucoup, il fut imité le surlendemain par Ségolène Royal qui, pour annoncer sa propre candidature, avait choisi le décor du musée de la BD d’Angoulême. En quelques phrases, la présidente de la région Poitou-Charentes expliquait qu’elle « se mettait en congé du parti socialiste » pour « assumer en toute liberté ses responsabilités vis-à-vis de la France » et qu’elle « adjurait les Français de prendre toute la mesure de cette décision ». A l’arrière-plan, on apercevait des planches originales d’Astérix.
               Début février, ce fut au tour de Marine Le Pen de se déclarer officiellement candidate, au cours d’une brève intervention filmée au petit matin devant la flamme de l’Arc de Triomphe. A la suite de cette déclaration, plusieurs sondages s’accordèrent pour créditer la présidente du FN de 18 à 22% d’intentions de vote. Le soir même, invité au 20h de TF1, Jean-Louis Borloo annonçait que, vu cette situation « menaçante et terrible », il prenait la décision de ne pas être candidat afin de « ne pas contribuer à faire advenir un nouveau 21 avril ». Dans la foulée de cette annonce, Corinne Lepage se déclara elle aussi candidate afin « de proposer aux Français une alternative écologique réaliste, loin du dogmatisme d’une certaine extrême-gauche ».
               Aux vacances de Noël, voyagistes et clubs de vacances enregistrèrent des records de ventes de séjours en Afrique du nord ou aux Antilles. Il est vrai qu’ils avaient tous cassé leurs prix. Les soldes, en revanche, ne trouvèrent pas preneurs. L’hiver s’acheva dans une France morne, en apparence peu passionnée par une campagne atone. Des débats furent organisés, des petites phrases prononcées, des sondages effectués, des visites rendues et des accords passés sans que l’opinion parût s’en émouvoir outre mesure. Journalistes et commentateurs ne trouvaient guère d’échos, les émissions politiques n’obtenaient qu’une faible audience. Ni Eva Joly lorsqu’elle lorsqu’elle proposa la nationalisation des chaînes de fast-foods et d’hypermarchés, ni Ségolène Royal lorsqu’elle confessa au Nouvel Obs une expérience homosexuelle de jeunesse ne purent faire parler d’elles plus de deux ou trois jours. Dans les sondages, la majorité des personnes interrogées se déclaraient indécises. En interne, les instituts notaient que les personnes contactées se montraient de moins en moins désireuses de répondre et de plus en plus fréquemment agressives lorsqu’on leur téléphonait.
               De l’étranger provenaient des nouvelles inquiétantes : la Libye s’acheminait vers une guerre de clans, la situation grecque empirait, celle de l’Espagne s’aggravait… Nicolas Sarkozy prononça début mars sur TF1 une sorte de discours sur l’état du pays qui n’eût pas grand effet dans les sondages, ce qui n’empêcha pas Harlem Désir d’intervenir au nom du PS pour fustiger « une utilisation scandaleuse d’un média ami par le président-candidat ». Miracle de timing, Carla Bruni donnait naissance la semaine suivante à un vigoureux poupon que l’on prénomma Hubert-Luigi. Paris-Match et Closer en firent leurs couvertures et ne vendirent pas beaucoup.
               A un mois du scrutin, si l’on en croyait les instituts, aucun pronostic sérieux n’était faisable.

(A suivre)