Dix-septième épisode : Coup de force.



                A midi pile, ce dimanche 12 août 2012, les émissions de télé comme de radio furent interrompues par les accents de La Marseillaise. Sur les écrans de télévision un plan fixe révéla, sur un fond grisâtre, une longue table couverte d’une nappe verte derrière laquelle apparaissaient une douzaine d’hommes à la mine sévère, vêtus d’uniformes bleus ou beiges qu’éclairaient des boutons et des étoiles argentés ou dorés et les rubans rouges, jaunes ou verts de nombreuses décorations. Derrière eux, on apercevait un drapeau tricolore, deux plantes vertes et, posé sur un balustre, un buste de Marianne. Puis la caméra zooma sur l’homme en tenue jaspée qui occupait la place centrale et devant lequel était posé un bouquet de micros. Le visage rond aux cheveux ras, le nez de boxeur et les yeux sombres donnaient une impression de détermination tranquille. Pour la très grande majorité des spectateurs, c’était un parfait inconnu. Seuls quelques dizaines d’initiés identifièrent le général Alain de Boisguibert, chef d’état-major des armées. Après un instant de silence solennel, l’homme prit la parole. Sa voix, un peu trop haut perchée, créait un contraste étrange avec la gravité de la scène.
- Françaises, Français, mes chers compatriotes… En ces heures terribles où l’intégrité de notre pays est mise en cause, devant l’exceptionnelle gravité de la crise que doit affronter la France et constatant l’incapacité des pouvoirs publics institutionnels à y répondre, votre armée s’est résolue à assumer l’ensemble des responsabilités qui lui incombent. Déjà, au moment où je vous parle, des mesures très fermes sont mises en œuvre pour faire cesser les insurrections qui isolent certaines de nos villes…
Suivait, en phrases brèves, une description de la situation. Un comité de Sauvegarde nationale était constitué. Il comprenait le chef d’état-major des armées, les chefs d’état-major de l’armée de terre, de la marine, de l’aviation et de la gendarmerie ainsi que leurs majors-généraux et le gouverneur militaire de Paris. Stations de radio et chaînes de télévision étaient sous contrôle. Le chef de l’Etat, les principaux membres du gouvernement et quelques leaders syndicaux se trouvaient en résidence surveillée. Dans l’après-midi, le comité rencontrerait les divers présidents de groupes parlementaires mais, d’ores et déjà, il en appelait au sens de l’Etat des dirigeants politiques pour appuyer son action ou, en tout cas, ne pas la contrarier par des appels à la révolte qui ne feraient qu’ajouter au désordre ambiant. L’heure était à l’unité et à la solidarité ; chacun devait le comprendre et agir en conséquence. Puis la caméra zooma sur le visage impassible de la Marianne de plâtre, tandis que La Marseillaise retentissait de nouveau, laissant les spectateurs abasourdis.
(A suivre)