Seizième épisode : Un dimanche matin à l'Elysée.



      Le coup d’état se fit très simplement.
      Le samedi soir, de retour de Bruxelles, Martine Aubry avait regagné ses appartements de l’Elysée pour achever la soirée en compagnie de Jean-Louis Brochen. Le lendemain matin, en les quittant pour se diriger vers son bureau, elle eut la surprise de trouver dans l’antichambre le général Coëtlogon, commandant la place de Paris, qui l’attendait à la tête d’un groupe d’une dizaine de gardes républicains. A son entrée, les hommes se mirent au garde-à-vous. Le général salua la Présidente et s’approcha d’elle avec toutes les marques du respect.
-      Madame le Président, je vais vous demander de bien vouloir nous suivre.
-      Vous plaisantez, général !
-      Nullement, madame le Président. Je suis au regret de devoir vous mettre aux arrêts. Le palais est sous notre contrôle, ainsi que l’hôtel Matignon, Beauvau et les principaux ministères. Il n’y a rien que vous puissiez faire, sinon nous suivre. Ne vous inquiétez pas, votre résidence vous attend déjà.
La Présidente, partagée entre l’incrédulité et la rage, ne savait quelle contenance adopter.
-      Votre conduite est inqualifiable, général. Je vous ordonne de vous reprendre.
-      Je crois que vous ne comprenez pas bien la situation, madame le Président.
Sur un geste du général, les gardes entourèrent une Martine Aubry au visage blême. Guidés par l’officier, la Présidente et son escorte se dirigèrent vers la cour d’honneur. Le palais était désert, hormis de loin en loin un garde républicain en uniforme et le fusil au pied qui, à l’approche du groupe, présentait impeccablement les armes. Dans les couloirs vides aux moulures dorées où l’on n’entendait que le bruit rythmé des pas, la scène avait quelque chose de spectral. Dans la cour, quelques gardes républicains armés de fusil semblaient surveiller les entrées. Garée devant le perron, une C6 noire attendait. Derrière elle, il y avait un fourgon bleu aux vitres grillagées, vide. Près de la voiture, un colonel de gendarmerie se mit au garde-à-vous à l’arrivée de l’escorte présidentielle, salua, ouvrit la portière arrière. Le général s’approcha de Martine Aubry.
-      Madame le Président, si vous voulez bien monter.
La Présidente commençait à prendre conscience de la situation.  Jusque là, envahie par la colère et l’ahurissement, elle avait été incapable de complètement réaliser ce qui lui arrivait ni de ressentir de la peur.
-      Que va-t-il arriver, maintenant, général ?
-      Vous allez être emmenée à Villacoublay et, de là, au fort de Brégançon où vous serez assignée à résidence. Vous n’avez rien à craindre, je vous l’ai dit.
-      Qu’est devenu le Premier ministre ?
-      Il doit être en route vers la Lanterne, où il sera lui aussi placé en résidence surveillée.
-      Vous êtes fou, général. Tout ceci va vous coûte très cher.
-      La situation exige des mesures d’exception, madame le Président. Je vous prie respectueusement de bien vouloir monter.
Martine Aubry comprit qu’elle ne pouvait qu’obéir. Elle s’installa sur le siège arrière. Le colonel ferma la portière. L’un des gardes fit le tour de la voiture, ouvrit la portière avant, s’installa au volant. Les autres montèrent dans le fourgon qui stationnait derrière la C6. Le colonel vint s’asseoir à côté de sa prisonnière.
Le général salua.
-      Je vous souhaite un bon vol, madame le Président.
Excédée, Martine Aubry tenta d’avoir le dernier mot.
-      « Madame la Présidente », je vous prie, général !
-      Je suis au regret, madame le Président : il n’appartient pas à l’exécutif de régenter la grammaire.
La C6 démarra, roula jusqu’à la sortie et disparut, imitée par le fourgon bleu nuit. Le général suivit des yeux les véhicules. Puis, il sortit un portable de sa poche et composa un numéro.

(A suivre)